« Parler, c’est facile. Mais agir ? Ça, c’est une autre histoire. » Cette phrase résume à elle seule le double problème des assistants vocaux : le gouffre d’action – cet écart psychologique entre l’intention de faire quelque chose et le passage à l’acte – et leur invisibilité fonctionnelle, qui empêche l’utilisateur de découvrir tout ce qu’ils peuvent faire.
Ces deux obstacles combinés expliquent pourquoi, malgré des milliards investis par les géants de la tech, ces appareils peinent à devenir des outils incontournables. Décryptons ce cercle vicieux.
Le gouffre d’action : un frein qui paralyse l’utilisateur
En interface homme / machine, le gouffre d’action désigne cet espace entre ce qu’on veut faire et ce qu’on fait réellement. Appliqué aux assistants vocaux, cela donne une scène familière : vous pensez demander à Alexa d’ajouter un produit à votre liste de courses… mais vous finissez par le noter sur un papier ou, pire, par ne rien faire du tout. Pourquoi ?
Parce que ce qui semble simple à première vue cache une série d’obstacles invisibles :
- Le doute sur la capacité : « Est-ce que cet assistant peut vraiment faire ça ? »
- La crainte de l’échec : « Et si Alexa ne comprenait pas ma commande ? »
- L’absence de réflexe : on est tellement habitués aux gestes physiques – écrire, cliquer, swiper – que parler à un objet reste contre-intuitif.
Le gouffre d’action est d’autant plus marqué dans le cas des assistants vocaux car, contrairement à une application ou un site web, il n’y a aucun repère visuel pour guider l’utilisateur. L’assistant est une boite noire qui ne propose aucune action.
Invisibilité fonctionnelle : quand on ignore ce qu’on peut demander
C’est là que se trouve le deuxième problème majeur : les assistants vocaux ne montrent pas ce qu’ils savent faire. Leur interface, entièrement vocale, ne donne aucun indice sur leurs capacités. Là où une application nous attire avec des boutons clairs, des menus et des icônes, un assistant vocal reste une boîte noire.
Selon une étude de Voicebot.ai, 45 % des utilisateurs ne connaissent pas l’étendue des fonctionnalités de leur appareil. Résultat ? Ils se cantonnent à répéter les commandes les plus basiques : la météo, la musique, ou un minuteur. Et ce, alors que ces technologies peuvent piloter une maison connectée, coordonner un emploi du temps complexe, ou même passer des commandes en ligne.
Le problème, c’est que sans visualisation des possibilités, l’utilisateur ne sait même pas ce qu’il pourrait demander. Il se retrouve dans une situation absurde : il ne pose pas certaines questions, car il ignore qu’il peut obtenir des réponses.
Le cercle vicieux du gouffre d’action
Ces deux problèmes s’entretiennent mutuellement. L’invisibilité fonctionnelle amplifie le gouffre d’action, car si l’utilisateur n’a aucune idée de ce que l’appareil peut faire, il n’aura même pas l’intention de tester des commandes. Et sans intention, il n’y a pas d’action, donc pas d’apprentissage, pas de progression dans l’usage.
Un exemple typique : saviez-vous que vous pouvez demander à Google Assistant de traduire une conversation en temps réel ou de coordonner une réunion professionnelle ? Probablement pas. Et si vous ne le savez pas, vous ne tenterez jamais ces commandes. Le potentiel reste bloqué, enfermé dans une boucle de non-usage.
Briser le cycle : pédagogie et matérialisation
Alors, comment sortir de ce cercle vicieux ? En attaquant le problème sur deux fronts :
- Réduire le gouffre d’action : cela passe par une amélioration des interfaces vocales elles-mêmes. Les assistants doivent devenir plus proactifs, plus intuitifs. Pourquoi ne pas imaginer un assistant qui, dès l’installation, vous propose un parcours de découverte, comme une sorte de tutoriel vocal interactif ?
- Rendre visible l’invisible : il est impératif de matérialiser les capacités de ces appareils. Une interface hybride, combinant la voix à un écran ou à une application mobile, permettrait de présenter les fonctionnalités de manière claire. Par exemple, après une commande, un écran pourrait afficher des suggestions supplémentaires : « Vous pouvez aussi me demander de… »
Le futur des assistants vocaux dépend de leur capacité à être vus et compris
Les assistants vocaux ont un potentiel immense, mais ce potentiel est bridé par leur incapacité à franchir le gouffre d’action et à sortir de leur invisibilité. Tant qu’ils ne montreront pas ce qu’ils savent faire, tant qu’ils ne faciliteront pas le passage à l’acte, ils resteront des gadgets sous-exploités.
Pour vraiment décoller, ces appareils doivent apprendre à se rendre indispensables. En étant à la fois proactifs et pédagogiques, ils pourraient enfin transformer la promesse d’une vie simplifiée en une réalité palpable. Le jour où ils combleront ce gouffre d’action, alors seulement, ils deviendront la révolution qu’on nous avait promise.