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La différence de nature entre photographie argentique & numérique selon André Rouillé

André Rouillé, historien et théoricien de la photographie, propose une distinction intéressante entre la photographie argentique et la photographie numérique qui dépasse la simple différence technologique. Il aborde cette distinction sous l’angle de l’ontologie de l’image et de la transformation de l’acte photographique lui-même.

D’un côté, la photographie argentique, qui repose sur une réaction chimique, capte la lumière de manière directe et analogique. Pour Rouillé, ce processus rend l’image argentique intrinsèquement liée à la réalité matérielle et au temps. L’image argentique est une empreinte lumineuse, un indice au sens de Charles Sanders Peirce, un témoin direct de la réalité passée. Elle est le résultat d’un processus qui nécessite du temps et des conditions spécifiques, renforçant ainsi l’idée d’une trace, d’une capture unique et irrémédiablement liée à un moment précis.

À l’inverse, la photographie numérique fonctionne par échantillonnage et codage de l’information lumineuse sous forme de données numériques. Rouillé met en avant que cette transformation modifie fondamentalement la nature de l’image photographique. L’image numérique n’est plus une empreinte mais une construction, une traduction de la réalité en bits. Le processus numérique permet non seulement une plus grande souplesse et rapidité dans la production des images, mais il introduit également la possibilité infinie de manipulation, de retouche, et de reproduction, brouillant ainsi la frontière entre la capture du réel et la création ex nihilo.

Cette différence ontologique a des implications profondes. Pour Rouillé, la photographie numérique inaugure une nouvelle ère où la notion d’authenticité, si centrale à l’ère de la photographie argentique, est remise en question. La fidélité au réel n’est plus la préoccupation principale; l’image devient avant tout une information manipulable. Cela affecte aussi la relation du photographe à son sujet, transformant l’acte photographique en une série de choix plus complexes, où la post-production et la diffusion immédiate redéfinissent l’essence même de la photographie.

Ainsi, pour Rouillé, la photographie numérique n’est pas simplement une nouvelle étape technologique, mais bien une rupture épistémologique et culturelle qui reconfigure notre rapport à l’image, au temps, et à la réalité. Ce changement n’est pas anodin : il modifie notre perception du monde et notre capacité à distinguer ce qui est réel de ce qui est construit. La photographie, autrefois témoin du passé, devient avec le numérique une fenêtre ouverte sur un présent en perpétuelle mutation, où l’image est toujours en devenir, toujours potentiellement modifiable.