Aya Nakamura : qu’est ce que c’est que ce jargon ?
Ces jeunes qui mangent la moitié des mots et inventent des expressions massacrent notre belle langue française. Il n’y a qu’à écouter leurs chansons, lire leurs messages sur Internet pour constater qu’ils parlent langue étrangère. Des artistes comme Aya Nakamura ne chantent pas en français.
Chaque génération se croit-elle investie de la mission de réinventer la langue ?
La réponse est OUI. Bien plus que cela, chaque génération se croit investie de la mission de réinventer le monde (vous aussi, souvenez-vous !). Et pour ce faire, elle modèle son propre langage. La maitrise de son environnement passe par l’appropriation du langage. C’est un phénomène que l’on connait aussi dans de nombreux milieux professionnels et communautés. Prenons des exemples avec l’utilisation de l’argot.
Qu’est ce que l’argot ?
L’argot est une forme de langage vivant et dynamique qui reflète les évolutions sociales et culturelles d’une époque. En France, de nombreux argots ont émergé et se sont transformés au fil des décennies, chacun enrichissant la langue de leur saveur unique. En témoignent les différents argots qui ont émergé à travers le XXème siècle.
Argot des apaches (début XXe siècle)
Au début du XXe siècle, l’argot des « Apaches » (jeunes délinquants parisiens) dominait. Cet argot se caractérisait par des mots comme « arpète » (apprenti), « riflette » (bagarre), ou encore « débiner » (partir). Maurice Chevalier, avec ses chansons comme « Valentine », a contribué à diffuser ce langage dans les cabarets parisiens.
Argot des titis parisiens (Années 1920-1950)
Les « Titis parisiens », jeunes gens de la classe populaire, utilisaient un argot coloré et joyeux, illustré par des termes comme « blé » (argent) ou « rouspéter » (protester). Charles Trenet, le « fou chantant », a immortalisé cet argot dans ses chansons, telles que « Y’a d’la joie ».
Argot des milieux criminels (Années 1930-1960)
Cet argot, plus sombre, se retrouvait chez les truands et les policiers. Des termes comme « môme » (femme), « ciboulot » (tête), ou « cabèche » (prison) en sont des exemples. Le cinéma noir français, avec des films comme « Touchez pas au grisbi » de Jacques Becker, a contribué à populariser ce langage. Jean Gabin, notamment, a incarné ce style dans ses rôles.
Argot des banlieues et le verlan (Années 1980-présent)
Avec l’immigration et l’urbanisation croissante, un nouvel argot a émergé dans les banlieues françaises, souvent caractérisé par le verlan (inversion des syllabes). Des mots comme « meuf » (femme), « keuf » (flic) ou « reum » (mère) en sont issus. Renaud avec « Laisse béton » ou le groupe NTM, avec des titres comme « Laisse pas traîner ton fils », ont largement contribué à populariser cet argot.
Argot des Jeunes et le language SMS (Années 2000-présent)
Les jeunes, influencés par la technologie et les réseaux sociaux, ont développé un nouvel argot marqué par des abréviations et des expressions anglophones. On trouve des expressions comme « lol » (rire), « mdr » (mort de rire) ou « bg » (beau gosse). Des artistes comme Orelsan utilisent cet argot pour refléter la culture contemporaine dans leurs œuvres.
Argot LGBTQ+ (Années 1980-présent)
La communauté LGBTQ+ en France a développé son propre argot, souvent utilisé pour exprimer des identités et des expériences spécifiques. Des termes comme « gouine » (lesbienne), « drag » (performance de genre) ou « queer » sont courants. Des artistes comme Eddy de Pretto ont intégré cet argot dans leur musique pour célébrer la diversité.
Aya Nakamura chante donc en argot ?
En quelque sorte, une forme d’argot métissé des classes populaires. Voci ce qu’en dit « Christine Pauleau, Maître de conférences, en Sociolinguistique, à l’Université Paris-Nanterre.
« Aya Nakamura emploie dans ses chansons ce que j’appelle un ‘français néo-populaire’ qui existe dans la réalité des pratiques, chez les personnes de certains groupes sociaux et qui est une des formes les plus évoluées, les plus récentes pour le dire autrement, de la langue française »
Ces néo-langages sont une fenêtre sur les transformations sociales et culturelles du pays. Ils s’adaptent, évoluent et reflètent les réalités de chaque époque. Que ce soit dans les chansons de Maurice Chevalier ou les rimes d’Orelsan, ils capturent l’esprit du temps qui n’existait pas dans les époques précédentes et qui est donc absent du langage qui leur est enseigné. Ils adaptent le langage à leur époque en détournant, intégrant, créant des expressions.
Comment ces langages évolueront-ils dans le futur ?
Certaines expressions passeront dans le langage courant. Cela, seul le temps nous le dira, mais une chose est sûre : Des néo langages continueront à enrichir la langue française avec leur créativité et leur vivacité. D’autant qu’ils bénéficient de la formidable accélération des communications propulsées par l’Internet. Ces néo-langages sont désormais exposés à la vue de leurs ainés. C’est peut-être cela qui effraie les ainés en question ; la crainte d’être dépassées. Le rejet du langage des jeunes par les générations précédentes cache aussi la peur de vieillir.
Pour en savoir plus sur Aya Nakamura : On écoute Aya Nakamura partout : « ça parle à tout le monde » – C à Vous 23 mai 2019